Cela fait trois ans que le Capitaine Ibrahim Traoré est arrivé à la tête du Burkina Faso, à la faveur d'un coup d'Etat qui a fait partir un autre militaire, le Lieutenant-Colonel Paul Henri Damiba qui lui avait, quelques mois plus tôt, évincé l'ancien président Roch Marc Christian Kaboré.
Dans la foulée de son accession au pouvoir après ce coup d'Etat, Ibrahim Traoré a déclaré que son prédécesseur était incapable de tenir ses promesses envers le peuple du Burkina Faso, n'ayant surtout pas obtenu de résultats probants dans le domaine de la sécurité. Il l'a également accusé d'entretenir la mauvaise gouvernance.
Au moment où il prenait le pouvoir, les groupes armés contrôlaient au moins 40% du territoire national, selon l'Institut d'études et de sécurité (ISS). Ibrahim Traoré avait alors montré sa détermination à combattre ces groupes armés et reprendre ces parties du territoire.
Mais aujourd'hui, selon un rapport du Conseil de sécurité des Nations Unies publié le 19 mars 2025, une enquête qui porte sur la période 2022-2024, « au moment de la rédaction du présent rapport, le Gouvernement de transition affirme qu'il contrôle 69 % du territoire national ».
Le Capitaine, arrivé à la tête du pays en septembre 2022, avait fait des promesses, notamment en s'engageant à vaincre les groupes armés en six (06) mois et organiser des élections en douze (12) mois afin de remettre le pouvoir à un dirigeant civil.
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Cependant, lors d'une rencontre avec les « forces vives de la nation » au palais des sports de Ouagadougou en juillet 2024, deux ans après le putsch, Ibrahim Traoré a fait un revirement, faisant connaitre « sa vision » pour les 5 années à venir. Confirmant ainsi sa décision prise quelques semaines plus tôt lors des « Assises nationales » de prolonger sa transition de 5 ans.
Là encore, outre la reconquête et la sécurisation du territoire, le chef de la junte a évoqué son projet de société, notamment la relecture du code minier, le retrait des permis d'extraction minière aux multinationales étrangères et des actions concrètes pour soulager les populations dans les domaines des soins de santé, d'action sociale et d'infrastructures.
A l'heure du bilan trois ans après sa prise du pouvoir, que peut-on retenir ?
Sécurité et défense
L'organisation Etat islamique (EI) et Al-Qaïda mènent des attaques meurtrières au Burkina Faso depuis 2015. Le bilan fait déjà des milliers de morts (civils comme militaires) et plus de deux millions de déplacés, selon des organisations non gouvernementales.
A son arrivée au pouvoir, le Capitaine Ibrahim Traoré a promis mettre fin à ces attaques, repousser les jihadistes et récupéré les territoires occupés par l'ennemi, rassurant au passage les populations touchées par ces malheureux événements.
Le nouvel homme fort du Burkina Faso a d'abord retiré son pays de la CEDEAO avant de créer l'Alliance des États du Sahel (AES) avec le Mali et le Niger.
Il s'est aussi séparé de certains partenaires traditionnels du pays en se rapprochant de la Russie qui devrait l'aider à combattre les groupes armés.
Selon l'Institut d'études de sécurité (ISS) qui a publié un rapport sur le pays en février 2024, la junte au Burkina a « réorganisé les forces de défense et de sécurité, acquis de nouveaux équipements militaires et recruté environ 10 000 fonctionnaires dans l'armée et la marine ».
Le régime militaire a également procédé à l'enrôlement de 9 000 « Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) ». Il a également créé le fonds de soutien patriotique pour renforcer l'engagement des citoyens en faveur de la sécurité.
Outre le rapport du Conseil de sécurité des Nations unies, l'ONG Amnesty International a également publié un document sur la situation au Burkina Faso en 2024, publié en début de cette année. Selon elle, « les autorités burkinabè ont affirmé en août qu'elles avaient reconquis 69 % du territoire ».
« Nous avons pu progresser significativement sur le terrain. Nous avons pu reconquérir des zones qui étaient sous l'emprise des terroristes il y a 4 ou 5 ans de cela. Nous avons pu donc libérer ces zones. D'autres zones sont en phase de consolidation actuellement. Ce qui est donc un progrès très significatif », a déclaré le Capitaine Ibrahim Traoré le 1er avril dernier, s'adressant à ses collaborateurs.
Il a lancé un appel aux soldats sur le terrain à redoubler de vigilance pour ne pas être surpris par l'ennemi, tout en annonçant le recrutement dans l'armée et l'achat de matériels militaires pour faire face aux groupes armés.
« Il n'y a pas d'alliance possible avec les terroristes, il n'y a pas d'alliance possible avec ces criminels. Soit nous les combattons, soit ils nous combattent. Et nous avons opté pour le combat. Et c'est par là que nous serons libres, que nous serons réellement indépendants », a-t-il indiqué au palais des sport de Ouagadougou en juillet 2024.
Sécurisation du pays, une réalité encore lointaine
Les discours et actes posés par la junte au Burkina Faso ne suffisent pas pour arrêter les attaques des groupes armés dans le pays. En réalité, le chef de la transition peine à tenir sa promesse de juguler la crise sécuritaire à laquelle fait face son pays, le plongeant dans une instabilité chronique.
« Les attaques armées meurtrières contre les civils et les forces de sécurité se sont intensifiées, des groupes armés ayant pris le contrôle de certaines parties du pays », indique le Conseil de sécurité de l'ONU dans son rapport.
L'une de ces attaques qui ont durement touché le pays reste celle de Barsalogho, dans la région du centre-nord en août dernier. Selon le Collectif des victimes de Barsalogho, cette attaque, revendiquée par le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda, aurait fait plus de 400 morts. Aucun bilan officiel n'a cependant été annoncé par la junte.
Dans le même mois, un convoi de véhicules militaires a été attaqué dans l'Est du pays avec des morts et des blessés. La localité de Kounla dans l'Ouest du pays, a également été touchée par ces attaques, toujours en août 2024, un mois particulièrement sanglant au Burkina Faso.
Des attaques ont même touché le cœur de la capitale, Ouagadougou. Une situation qui oblige les populations à se déplacer massivement pour chercher refuge dans les pays voisins comme le Mali et le Nord du Togo.
Le Conseil norvégien pour les réfugiés, faisant un bilan de la situation en août 2024, indiquait que plus de 20 000 réfugiés burkinabè se sont fait enregistrer dans le centre de Koro, dans la région de Mopti. Ces personnes, a poursuivi l'ONG, « vivent dans des conditions désastreuses ».
Selon le Centre africain d'études stratégiques cité par l'Institut d'études de sécurité, la violence islamiste militante a tué presque trois fois plus que pendant les 18 mois précédant le coup d'État de janvier 2022, et la violence a augmenté de 46 %. Ce phénomène, couplé à la propagation d'activités extrémistes autour de Ouagadougou, place le pays au bord de l'effondrement.
La situation sécuritaire au Burkina Faso reste inquiétante. La junte au pouvoir, malgré les efforts, ne rassure pas encore les Burkinabè et la communauté internationale. Il reste donc beaucoup à faire, selon de nombreuses organisations qui suivent de près la situation.
Le social et la gouvernance économique
Le Capitaine Traoré s'est engagé, à son arrivée au pouvoir, à reconstruire l'Etat et améliorer la gouvernance. Il a donc fait adopter des lois importantes contre le clientélisme et le favoritisme politique dans la fonction publique.
La lutte contre la corruption a conduit à l'arrestation de l'ancien ministre des Transports, Vincent Dabilgou et la condamnation de 11 autres personnes pour détournement de fonds et blanchiment des capitaux.
Un autre point positif à l'actif du Capitaine Traoré, noté par le président de l'Institut Tamberma pour la gouvernance, Paul Amegnakpo, est l'augmentation du budget national qui est passé de 1 200 milliards de FCFA en 2022 à 3 000 milliards de FCFA en 2024.
Cela se justifie, selon lui par l'économie de guerre instaurée par la junte pour juguler l'avancée des groupes armés dans le pays.
Ibrahim Traoré a nationalisé deux mines d'or, ce qui a arrêté l'exportation d'or vers l'Europe. Il a, à la place, inauguré une raffinerie d'or qui devrait traiter 150 tonnes par an.
Il s'est investi également dans la création d'un Centre national d'appui à la transformation artisanale du coton, la construction d'un nouvel aéroport et des investissements considérables dans l'agriculture.
« Bien qu'il s'agisse de nobles tentatives d'industrialisation du Burkina Faso, le pays ne doit pas tomber dans les pièges habituels de l'inefficacité, de la corruption et de la mauvaise gestion qui caractérisent la plupart des entreprises d'État africaines », indique l'ISS.
La junte a également créé « l'initiative présidentielle pour la santé » (IPS) qui ambitionne de moderniser les structures de santé, d'améliorer la qualité des soins dans le pays et permettre l'équipement de certains centres hospitaliers, la subvention des actes médicaux liés aux maladies chroniques, notamment l'insuffisance rénale, les imageries par résonnance magnétique (IRM) et les dialyses dans les hôpitaux publics. Une initiative qui a une durée de 5 ans, selon les autorités burkinabè.
« La vision du chef de l'Etat, Ibrahim Traoré est de garantir l'accès aux soins et des services de santé à tous les Burkinabè, quel que soit leur rang social », a indiqué le communiqué du Conseil des ministres du 13 mars 2024.
Ce communiqué ajoute : « Conformément à cette vision, le gouvernement décide d'une baisse substantielle des tarifs d'accès aux examens de scanners, d'IRM et de dialyse ». Plusieurs hôpitaux ont été équipés dans le cadre de ce programme.
Du côté des infrastructures, la junte a procédé au lancement d'un « vaste programme d'aménagement, de réhabilitation et de bitumage de voiries dans les villes et campagnes du Burkina Faso » en avril 2024.
« Tous les Burkinabè doivent pouvoir consentir des sacrifices pour que nous puissions faire de notre pays ce que nous rêvons qu'il soit. Pour la qualité des travaux, nous ne souhaitons pas faire du goudron au rabais ; nous voulons faire des infrastructures durables », a déclaré Ibrahim Traoré après le lancement du projet.
Mais tous ces projets dont la plupart ne sont pas encore concrétisés ne suffisent pas pour rassurer les Burkinabè. Des défis importants subsistent, selon l'ISS.
Promesses non tenues et défis
Sur le plan de la gouvernance politique, l'auteur du coup d'Etat de septembre 2022 au Burkina Faso avait donné jusqu'en juin 2024 pour rétablir l'ordre constitutionnel, comme convenu avec la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
Au lieu de respecter ce calendrier, la junte s'est retirée de l'organisation régionale pour créer l'AES avec le Mali et le Niger.
Pour le chef de la junte qui s'est exprimé sur la télévision nationale du Burkina, la priorité est de lutter contre l'insécurité et de préserver la nation, et non d'organiser les élections.
« Cette décision renforce les doutes sur la capacité du Burkina Faso à respecter les échéances de la transition », a indiqué l'Institut d'études et de sécurité. De plus, au nom de la lutte contre les groupes armés qui le menacent, Ibrahim Traoré prolonge sa transition de cinq (05) ans.
En dehors de l'insécurité qui prend de l'ampleur dans le pays, malgré sa promesse de juguler la situation en six mois, il peine à honorer un autre engagement, celui de résorber la crise humanitaire.
Selon l'ISS, avec près de deux millions de déplacés internes et plus de 36 000 réfugiés, le Burkina a besoin d'environ 877 millions de dollars US pour fournir de l'assistance, des abris et des soins médicaux, alors que le pays ne dispose d'aucun financement.
Cette insécurité continue de faire déplacer massivement les populations, aggravant la crise humanitaire dans le pays et au-delà de ses frontières avec les voisins.
L'ISS ajoute que les progrès dans l'application des réformes et la lutte contre la corruption piétinent et suscitent des doutes quant à la volonté réelle du gouvernement.
En plus d'être victimes de l'insécurité, les populations sont également en proie à la pauvreté. Selon le rapport sur le développement humain 2023/2024, le Burkina Faso est classé parmi les pays qui ont un faible développement humain. Le pays occupe la 185e place sur 193 pays selon l'indice de développement humain. Il est classé 149e sur 167 pays sur l'indice des objectifs de développement durable 2024, et sur l'indice de pauvreté multidimensionnelle, 64,5 % de la population est pauvre de manière multidimensionnelle.
Des libertés mises en veilleuse
Malgré ces insuffisances et ses promesses non tenues, le régime militaire au Burkina Faso surfe sur le vent anti-impérialiste pour tenter de polir son image avec des actes populistes, allant jusqu'à reléguer au second plan les libertés individuelles et collectives.
Nombreuses sont ces organisations de défense des droits de l'homme qui l'accusent de réduire au silence des voix dissonantes et d'instaurer un climat de terreur. On assiste dans le pays à des réquisitions forcées des acteurs de la société civile, des journalistes sont envoyés au front pour se battre contre les groupes armés.
Le rapport de Amnesty International indique que des personnes accusées de complot contre l'État ont été arrêtées arbitrairement, de même, des militants, des journalistes et des magistrats ont été victimes de disparitions forcées. « Le conflit armé, qui perdure, a fait des centaines de morts parmi la population civile et a donné lieu au blocus de plusieurs villes. Des médias ont été suspendus pendant certaines périodes », souligne l'ONG international.
Le discours prononcé le 1er avril dernier par le Capitaine Ibrahim Traoré affirme que le Burkina Faso n'est pas dans une « démocratie mais une révolution progressiste populaire ». Il indique que la « question de la démocratie ou de libertinage d'action ou d'expression n'a pas sa place » dans le pays.
Dans la foulée, une liste de 32 individus recherchés pour « association de malfaiteurs en relations avec une entreprise terroriste » a été publiée et comprend non seulement des djihadistes présumés, mais aussi des journalistes, lanceurs d'alerte et hommes politiques.
Selon l'ISS, les conflits internes, la montée de l'insécurité et les changements diplomatiques, démontre la fragilité de la transition burkinabè.
[SRC] https://news.abidjan.net/articles/744743/burkina-faso-qua-fait-le-capitaine-ibrahim-traore-de-ses-promesses