Les opérations de déguerpissement menées par le nouveau ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Mouhamadou Bamba Cissé, ravivent un vieux débat dans la capitale sénégalaise : comment concilier la quête d’ordre urbain et la réalité sociale d’une ville qui, comme l’écrit le philosophe Xaadîm Nkaay, « est une ville du Sud » ?
Dans un récent post qui circule largement, l’universitaire et disciple de Cheikh Anta Diop appelle à la prudence : « Attention aux revers des déguerpissements ! Ne pas le faire seulement pour les beaux yeux et le confort de la classe moyenne majoritairement urbaine. L’informel est une réalité. » Son propos, loin d’être une opposition frontale à l’action de l’État, invite plutôt à une lecture plus fine des enjeux : expliquer avant d’agir, donner un délai, et surtout proposer des alternatives aux populations déplacées.
Une histoire de résistances
Dakar a connu plusieurs vagues de déguerpissements depuis l’époque coloniale jusqu’aux dernières décennies. Aucune n’a véritablement réussi à instaurer durablement l’ordre ou la propreté. Les rues libérées finissent tôt ou tard par être réoccupées, car les logiques économiques de survie sont plus fortes que les injonctions administratives. Comme le rappelle Nkaay, relire cette histoire permet de comprendre pourquoi la population manifeste des réticences : ce n’est pas seulement une question d’attachement à l’informel, mais une mémoire collective de promesses non tenues et de relogements jamais réalisés.
Entre ambition et écueils
Le ministre Mouhamadou Bamba Cissé incarne une nouvelle détermination de l’État à assainir les espaces publics. Ses premières actions ont marqué les esprits et donnent le sentiment que « cette fois-ci, l’autorité veut aller jusqu’au bout ». Mais l’expérience montre que sans accompagnement social, sans dialogue et sans planification, ces campagnes risquent de déboucher sur les mêmes impasses que par le passé.
Car à Dakar, l’espace public n’est pas seulement un lieu de désordre ou d’occupation illégale : il est un marché de subsistance, une source de revenus pour des milliers de familles, un amortisseur contre le chômage et la pauvreté. Déloger sans alternatives, c’est déplacer le problème plutôt que le résoudre.
Le défi de l’équilibre
La vraie réussite des déguerpissements ne réside donc pas uniquement dans des avenues dégagées ou des trottoirs libérés. Elle dépend de la capacité de l’État à inventer un équilibre entre l’ordre urbain et la justice sociale. Trouver des espaces aménagés pour les commerçants, accompagner les plus vulnérables, et surtout instaurer un dialogue permanent : voilà ce qui pourrait différencier la nouvelle approche de celles qui ont échoué dans le passé.
Le philosophe Xaadîm Nkaay conclut son avertissement par une formule wolof : « Bàyyi ci xel » – « Réfléchis d’abord ». Une injonction qui sonne comme une leçon : assainir Dakar, oui, mais pas au prix d’un nouveau cycle de frustrations et de résistances. Car rendre Dakar propre et organisée, objectif jamais atteint jusqu’ici, exige plus que des bulldozers : cela demande vision, patience et inclusion.
[SRC] https://xalimasn.com/2025/09/28/deguerpissements-a-dakar-entre-volonte-dordre-et-necessite-de-justice-sociale/