(Par Tanguy Gahié)
Abidjan, 29 sept 2025 (AIP)- Un simple trajet, mardi 16 septembre 2025, au grand carrefour de Koumassi s’est transformé en un véritable calvaire pour de nombreux automobilistes circulant avec des plaques d’immatriculation non conformes. Depuis plusieurs jours, la Police nationale mène une opération “coup de poing” pour traquer ces véhicules, et les conséquences ne se sont pas fait attendre.
Parmi les personnes en ce lieu très fréquenté par les automobilistes, deux hommes dont la vie a été bouleversée en l’espace de quelques minutes. D’un côté, il y a Henri Yao, le fils d’un cadre qui a vu ses espoirs de voyage s’envoler. Avec sa valise posée sur le siège arrière, il se rendait avec son père à l’aéroport pour prendre un vol, pour poursuivre ses études en Europe. Un barrage de police a mis fin à leur course. Le véhicule de son père, avec sa plaque banalisée, a été immobilisé par les forces de sécurité, avant d’être ensuite mis en fourrière, manquant ainsi son vol pour ce jour. Certainement que son père va prendre un autre billet avec des pénalités. Tout en espérant rattraper la rentrée scolaire qui a déjà commencé dans l’école où il est inscrit.
De l’autre côté, l’histoire de Jean-Marc est encore plus poignante. Au volant de sa voiture avec sa femme, sur le point d’accoucher, il se précipitait vers la maternité. Les contractions s’intensifiaient, mais le véhicule a été arrêté. Les supplications de l’homme n’ont pas suffi à convaincre les agents. Devant l’urgence de la situation, sa femme a dû quitter la voiture et prendre un taxi de fortune pour atteindre l’hôpital. Ces deux incidents mettent en lumière les conséquences de cette opération.
En fait, des contrôles inopinés, des immobilisations sur-le-champ et des sanctions immédiates : l’ère de l’impunité semble révolue, laissant derrière elle une vague de mécontentements et d’incertitudes. Ce n’est plus un secret, les routes ivoiriennes sont sillonnées par des milliers de voitures aux immatriculations “banalisées”. Souvent pour échapper aux taxes ou pour ne pas être identifiés, leurs propriétaires ont longtemps cru pouvoir circuler en toute tranquillité.
Mais pourquoi malgré cela, des automobilistes continuent-ils de circuler dans des véhicules avec des plaques d’immatriculation ‘’banalisées’’ ?
#Les raisons de la prolifération
Des véhicules circulant avec des plaques d’immatriculation fantaisistes, fausses ou banalisées, ont été observés dans pratiquement toutes les communes du District d’Abidjan, malgré une campagne de répression menée en juillet 2025 par la direction générale du transport terrestre et de la circulation, a constaté l’AIP.
Sur le quatrième pont et l’autoroute du Nord, reliant la commune de Yopougon à celles d’Adjamé et du Plateau, plusieurs voitures dont de grosses cylindrées portant les immatriculations « WW..», circulent librement. Dans les communes du District d’Abidjan, notamment Yopougon, Songon, Adjamé, Abobo, Marcory, Cocody, Koumassi, Port-Bouet, Treichville, Anyama et Bingerville, des véhicules arborent également des plaques banalisées dissimulant parfois celles de pays voisins.
L’utilisation de plaques d’immatriculation non réglementaires, souvent qualifiées de “banalisées” ou “fantaisistes” est devenue un fléau sur les routes ivoiriennes. Ces plaques, qui s’écartent du format officiel (couleur, typographie, lisibilité, ou absence de certains codes de sécurité, posent de sérieux défis aux autorités, notamment en matière de sécurité routière et de lutte contre l’incivisme. Alors que le ministère des Transports, à travers la Direction générale des Transports terrestres et de la circulation (DGTTC) mène des opérations de traque et de répression pour mettre fin à cette pratique illégale, plusieurs raisons profondes expliquent pourquoi certains automobilistes continuent d’y avoir recours.
L’une des principales raisons de l’utilisation de plaques banalisées est le désir d’éviter les taxes et les frais d’immatriculation. De nombreux véhicules d’occasion importés sont introduits en Côte d’Ivoire sans passer par les circuits légaux. Leurs propriétaires, pour ne pas payer les droits de douane et les frais de mise en circulation, optent pour des plaques non officielles. C’est une manière de dissimuler l’origine du véhicule et d’échapper à la fiscalité. « Le marché de la voiture d’occasion est florissant, mais une partie est hors du système. Pour ces véhicules, il est impossible d’obtenir une immatriculation officielle. La plaque banalisée est la seule solution pour circuler », a expliqué un agent des douanes, sous couvert d’anonymat.
De plus, le déploiement de caméras pour sanctionner les infractions routières (excès de vitesse, franchissement de feu rouge, etc.) a incité certains conducteurs à rendre leurs plaques illisibles, fantaisistes ou modifiées. L’objectif est simple : si la caméra ne parvient pas à identifier clairement le numéro d’immatriculation, le contrevenant espère se soustraire à l’amende. Ainsi, l’anonymat conféré par une plaque non conforme permet de commettre des infractions en toute impunité. Car, pour certains conducteurs, circuler avec une plaque non conforme est un signe qu’ils sont « au-dessus » des règles communes, renforçant un sentiment d’impunité souvent lié au statut social ou à l’appartenance perçue à un groupe.
En sus, l’utilisation illégale de plaques dites “banalisées” (celles qui ressemblent à s’y méprendre à celles utilisées par les Forces de l’ordre) ou de plaques falsifiées peut être motivée par des desseins criminels ou frauduleux. En effet, certains particuliers se font passer pour des agents des forces de l’ordre ou des personnalités administratives pour bénéficier d’une certaine impunité ou de la priorité sur la route.
C’est une manière de s’afficher comme étant “au-dessus de la loi” et d’intimider les autres usagers de la route. « C’est une manifestation de ce que nous appelons ‘l’incivisme élitiste », indique un sociologue ivoirien, Dr Jean Jacques Kouamé. Selon l’enseignant-chercheur, ces conducteurs se sentent intouchables et utilisent ces plaques pour le montrer. « C’est un défi lancé à l’autorité de l’État », déclare-t-il.
L’aspect le plus inquiétant de cette pratique est son usage par le milieu criminel. Des véhicules avec des plaques banalisées sont fréquemment impliqués dans des délits tels que les braquages, les enlèvements ou les trafics illicites. L’anonymat qu’offrent ces plaques permet aux criminels de ne laisser aucune trace et de compliquer le travail des enquêteurs. Selon un officier de la police criminelle, les plaques banalisées sont devenues l’un des outils les plus prisés des réseaux criminels. « Elles sont le parfait camouflage pour opérer en toute impunité. Nous sommes souvent face à un mur lorsque nous cherchons à identifier un véhicule impliqué dans un crime », explique-t-il.
Parfois, ces plaques sont utilisées pour donner l’apparence de véhicules de fonction ou de sécurité, ce qui peut permettre à leurs occupants de bénéficier d’une certaine “immunité” sur la route. Un laxisme dangereux pour la sécurité. Ce phénomène est d’autant plus préoccupant que les véhicules à immatriculation ‘’banalisée’’ sont souvent impliqués dans des accidents ou des délits. Le fait qu’ils ne puissent pas être identifiés rend leur poursuite et leur sanction quasi impossibles pour les forces de l’ordre. « C’est un véritable casse-tête pour nous. Si un véhicule avec une plaque banalisée commet un délit de fuite après un accident, il est très difficile, voire impossible, de le retrouver. C’est une porte ouverte à l’impunité », affirme un officier de police, sous couvert d’anonymat.
Enfin, il y a des véhicules en situation irrégulière qui utilisent des doubles plaques ou de fausses plaques pour masquer la véritable identité d’un véhicule, qui pourrait être un ‘’véhicule volé, hors-taxe, ou dont les papiers sont irréguliers’’. En utilisant une immatriculation existante, l’usager légitime se retrouve pénalisé en cas d’infraction. « C’est une manifestation de ce que nous appelons ‘l’incivisme élitiste’. Ces conducteurs se sentent intouchables et utilisent ces plaques pour le montrer. C’est un défi lancé à l’autorité de l’État », souligne le sociologue Jean Jacques Kouamé.
Les véhicules hors taxes
L’opération “Tolérance Zéro” contre les véhicules aux plaques d’immatriculation non conformes a révélé un autre problème persistant et coûteux pour l’État : la circulation de véhicules « hors taxes ». Ces voitures, importées sans que les droits de douane et taxes ne soient correctement acquittés, représentent un manque à gagner fiscal majeur. Interceptés lors des contrôles, leurs conducteurs, parlant sous couvert d’anonymat, livrent leur version des faits, expliquant le lien direct entre leur statut illégal et l’usage de plaques banalisées.
D’abord, la raison première de l’utilisation de plaques banalisées illisibles, fantaisistes est la dissimulation pure et simple. Un véhicule « hors taxes » n’a pas de papiers en règle et ne peut obtenir une immatriculation officielle (carte grise). « Si j’avais la vraie plaque, je serais arrêté au premier barrage. On me confisquerait ma voiture et je perdrais tout », explique Sékou, un jeune entrepreneur roulant dans un SUV de luxe. « La plaque banalisée me donne l’illusion de la normalité. Elle me permet de me fondre dans le trafic et de ne pas attirer l’attention des douanes ou des agents qui recherchent spécifiquement les véhicules en situation irrégulière. », témoigne-t-il.
Ainsi, en utilisant une fausse plaque ou une plaque de format non réglementaire, des conducteurs tentent de contourner les systèmes de traçabilité mis en place par le Ministère des Transports et les forces de l’ordre.
De plus, pour certains automobilistes, le recours au marché des véhicules « hors taxes » est souvent le seul moyen d’accéder à des modèles récents ou haut de gamme. Ils pointent du doigt le coût jugé prohibitif de la régularisation. « Les taxes d’importation sont trop chères. Un véhicule qui coûte 10 millions FCFA à l’achat peut me revenir à 15 ou 16 mill
[SRC] https://connectionivoirienne.net/2025/09/30/le-gouvernement-intensifie-la-traque-des-plaques-dimmatriculation-banalisees/