Le premier ministre s’est exprimé ce matin sur le perron de l’hôtel de Matignon. Se disant prêt à faire des compromis, il affirme avoir dû faire face à l’inflexibilité des autres formations politiques prêtes à tout pour le renverser.
Il était 10h45 ce lundi matin, lorsque Sébastien Lecornu a pris la parole pour expliquer les raisons de sa démission. Retrouvez en intégralité le discours du premier ministre démissionnaire prononcé sur le perron de l’hôtel de Matignon.
«Mesdames et Messieurs. Bonjour à toutes et à tous.
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Je suis heureux, par l’intermédiaire de la presse, de m’adresser une nouvelle fois aux Françaises et aux Français, avec quelques mots spontanés au moment où j’ai remis la démission du gouvernement. Être premier ministre est une tâche difficile, sans doute encore un peu plus difficile en ce moment, mais on ne peut pas être premier ministre lorsque les conditions ne sont pas remplies.
Depuis trois semaines pourtant, j’ai bâti, tenté de bâtir les conditions pour lesquelles nous pourrions faire adopter un budget pour la France, pour l’État, mais aussi pour la Sécurité sociale et répondre à quelques urgences importantes qui ne peuvent pas attendre 2027 et l’élection présidentielle. Je ne peux pas toutes les citer, mais on le sait : sécurité du quotidien, les questions liées au pouvoir d’achat et au travail, la Nouvelle-Calédonie, les armées dans un contexte international difficile, et tant d’autres sujets.
Depuis trois semaines, ma parole a été rare. J’ai tenté de construire un cheminement avec les partenaires sociaux : forces patronales, forces représentant les syndicats salariés, notamment sur des sujets qui ont pu faire l’objet de blocage depuis maintenant de nombreuses semaines. Je pense aux retraités, la pénibilité, aux femmes, aux carrières longues. Des sujets qui sont parfois bloqués depuis plus de 20 ans, et sur lesquels nous étions en train d’avancer sur des solutions concrètes : sur l’assurance chômage, sur le financement de notre sécurité sociale, pour être capables de refaire vivre le paritarisme et la démocratie sociale.
Dans le secret du bureau, les langues se délient et les lignes rouges deviennent orange et parfois vert Sébastien Lecornu
Ce temps, je l’ai aussi consacré avec les formations politiques du socle commun pour bâtir une feuille de route, mais aussi évidemment de l’opposition. Puisque c’est elle qui décide en grande partie du sort et de l’avenir. Non seulement du gouvernement, mais aussi du pays, à travers l’adoption ou non d’un budget. Ces consultations officielles, parfois plus discrètes, nous ont permis d’avancer sur un certain nombre de sujets.
Dans le secret du bureau, les langues se délient et les lignes rouges deviennent orange et parfois vert. Avec parfois évidemment quelques lignes qui bougent sur l’assurance chômage, sur la question de la justice fiscale ou encore sur la question des retraites. Avec néanmoins toujours ce sentiment que la ligne se recule à chaque fois que nous avancions.
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Et puis j’en suis arrivé à la conclusion, vendredi dernier, que le Parlement devait toujours avoir le dernier mot ; que l’article 49.3 de la Constitution était un moyen de contraindre sa majorité - dans l’esprit du constituant, notamment de Michel Debré et du général de Gaulle - et que cela ne servait à rien de donner l’impression que les débats n’iraient pas jusqu’au bout.
En ce lundi matin, les conditions n’étaient plus remplies pour que je puisse exercer ces fonctions de premier ministre et permettre au gouvernement d’aller devant l’Assemblée nationale demain. Pour trois raisons. La première, c’est que précisément, ces formations politiques ont fait mine parfois de ne pas voir le changement, la rupture profonde que représentait le fait de ne pas se servir de l’article 49.3 de la Constitution.
Les partis politiques continuent d’adopter une posture, comme s’ils avaient tous la majorité absolue à l’Assemblée nationale Sébastien Lecornu
Au fond, il n’y avait plus de prétexte pour une censure préalable. Il n’y avait plus de prétexte pour que les parlementaires refusent de faire leur métier de parlementaire, c’est-à-dire de discuter la loi, de l’amender et, le cas échéant, de voter ou non un texte. Cette rupture a été soulignée par un certain nombre d’observateurs, d’acteurs de la vie politique, et certains opposants d’ailleurs qui le demandaient historiquement. Mais elle n’a pas permis ce choc. Elle n’a pas permis de se dire : «On peut faire différemment. On peut construire les choses différemment.»
La deuxième chose, c’est que les partis politiques continuent d’adopter une posture, comme s’ils avaient tous la majorité absolue à l’Assemblée nationale. J’étais prêt à des compromis. Mais chaque parti politique veut que l’autre parti politique adopte l’intégralité de son programme. C’est vrai, des formations, parfois du socle commun, c’est vrai aussi des oppositions. Or, nous l’avons dit, pas de coalition large. C’est un choix qui a été fait par les différentes formations politiques de l’opposition. Celui de ne pas venir avec le socle commun au gouvernement, mais de permettre les débats et d’organiser ensuite les compromis, sachant que les compromis ne sont pas la compromission. Mais pour cela, évidemment, il faut changer d’état d’esprit et ne pas vouloir appliquer l’intégralité de son projet et de son programme.
Ce moment est le moment le plus parlementaire de la cinquième République. Sébastien Lecornu
La troisième des choses, c’est que la composition du gouvernement au sein du socle commun n’a pas été fluide. Elle a donné lieu au réveil de quelques appétits partisans, parfois non sans lien. C’est d’ailleurs très légitime avec la future élection présidentielle. Je le dis ou je le redis, si ce moment est le moment le plus parlementaire de la cinquième République, en aucun cas il faut revivre ici les mauvais moments de la quatrième République. Et par définition, la construction d’un gouvernement se fait en fonction de la Constitution, sur proposition du premier ministre nommé par le président de la République.
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C’est un message véritablement d’espoir et d’optimisme de caractère, je ne le suis pas toujours, que je veux délivrer aux Français. Mais il suffirait de peu pour que cela fonctionne. J’avais dit ici même : «On va y arriver.» Je veux le redire dans le secret des échanges que j’ai pu avoir, il suffirait de peu pour que l’on puisse y arriver en étant plus désintéressés pour beaucoup. Et en sachant aussi faire preuve d’humilité, et peut-être aussi un peu parfois d’effacement de certains ego.
Je me suis employé, en tout cas je l’espère, à le faire. Ensuite, il faut toujours avoir le sens de l’intérêt général et du fond. Ce qui compte, c’est ce que l’on va faire en ayant l’humilité de considérer que certaines choses peuvent être faites avant 2027. D’autres choses seront faites pendant le débat de l’élection présidentielle. Il y a beaucoup de lignes rouges dans la bouche de beaucoup, en tout cas de certains. Pas de tous, pas de tous. Il y a rarement des lignes vertes. Or, le principe même de bâtir un compromis entre les formations politiques, c’est d’être capable justement de conjuguer des lignes vertes et de tenir compte d’un certain nombre de lignes rouges. Mais on ne peut pas être dans les deux extrêmes. Certaines formations politiques de l’opposition l’ont compris.
Je tiens à les remercier. Désormais, il faut que l’on puisse avancer, que celles et ceux qui veulent trouver un chemin pour le pays puissent avancer. Et le dernier point, et je le dis avec respect, moi qui suis un militant qui ai gravi les marches de la méritocratie républicaine grâce à l’élection, comme maire, comme président de département, comme sénateur.
Je suis un militant. J’ai du respect pour celles et ceux qui s’engagent. Mais il faut toujours préférer son pays à son parti. Il faut savoir écouter ses militants, mais toujours penser aux Françaises et aux Français.
Merci à toutes et à tous. Je vous remercie.»
[SRC] https://www.lefigaro.fr/politique/les-formations-politiques-ont-fait-mine-de-ne-pas-voir-le-changement-retrouvez-en-integralite-la-declaration-de-sebastien-lecornu-20251006